Il reste une touche finale, juste une, mais essentielle: un sacre mondial dimanche parachèverait le chef d’œuvre qu’est la carrière de Lionel Messi, génie virevoltant qui prétend au statut de plus grand footballeur de l’histoire.
Après le slalom ébouriffant de l’Argentin amenant le troisième but contre la Croatie (3-0), l’ancien attaquant anglais Gary Lineker a fait mine de s’interroger sur Twitter: « Il y a encore un débat? A propos du Goat » (« Greatest of all time », soit le meilleur joueur de tous les temps, NDLR).
Tant que le gamin de Rosario, arrivé à 13 ans au FC Barcelone, n’aura pas enrichi son armoire à trophées du plus prestigieux d’entre eux, oui, il y aura un débat.
Et la finale de dimanche est son ultime occasion: lui-même a dit que ce Mondial, son cinquième, serait sans doute son dernier, à 35 ans.
Pour de nombreux Argentins, Messi est immense mais il n’y a toujours qu’un seul « Dios », Diego Maradona, le « Pibe de Oro », celui qui leur a apporté en 1986 leur second sacre mondial au terme d’un tournoi extraordinaire.
Et de nombreux autres amoureux du football mettent Pelé et ses trois étoiles hors de portée. En 2019, le « Roi » avait lui-même établi une hiérarchie: « Si vous me demandez si Maradona a été meilleur que Messi, oui, il l’a été. Bien meilleur. »
Quatre échecs
Messi a pourtant beaucoup plus gagné que Maradona et Pelé. Sept Ballons d’Or, quatre Ligues des champions, une avalanche de championnats et de coupes avec Barcelone puis le Paris SG, une Copa America en 2021, son seul trophée majeur avec l’Argentine, qui attendait ça depuis 1993.
Le génial N.10 a inscrit des buts par centaines, enchanté le monde de ses dribbles, ses passes, ses inventions, sa vitesse, qui suscitent l’effroi des adversaires, l’extase des supporters, la stupeur admirative des amoureux du football.
Il est le capitaine de la sélection argentine, son meilleur buteur (96 buts), celui qui en a le plus porté le maillot (171 sélections).
En Coupe du monde, il n’aurait pas toujours brillé? Avec onze buts et huit passes décisives, il trône au sommet des joueurs les plus décisifs de la compétition reine. Dimanche, il deviendra celui qui en a disputé le plus de matches (26 en cinq éditions), devant Lothar Matthaüs.
Mais le génial N.10 ne l’a toujours pas gagnée. Il a buté trois fois contre l’Allemagne dont une en finale en 2014. Et en 2018, il a été décevant contre la France en huitième (4-3), éclipsé par Kylian Mbappé, futur champion du monde.
« Une injustice »
Messi est né un an après le chef d’œuvre de Maradona, en 1987, à Rosario, dans le nord du pays. Avant de partir bâtir sa légende en Espagne, il a pu admirer Maradona, revenu d’Europe pour finir sa carrière aux Newell’s Old Boys, l’un des deux clubs majeurs de sa ville, puis à Boca Juniors.
Il sait donc parfaitement le poids d’un sacre mondial.
« Le football doit un Mondial à Messi », avait estimé en 2017 Jorge Sampaoli, alors sélectionneur de l’Albiceleste, quelques mois avant l’échec de Russie.
A Doha, le sélectionneur espagnol Luis Enrique, qui a entraîné Messi au Barça, abonde: « Ce serait une injustice qu’un joueur de la stature de Lionel Messi se retire sans avoir remporté une Coupe du monde. » « Ce serait bien qu’un tel joueur (la) remporte », renchérit Matthaüs.
Durant ce Mondial, Messi a ajouté une arme à sa panoplie: une touche d’agressivité dans l’attitude, qui plaît tant en Argentine.
Au Qatar, il a affiché un visage méconnu de chambreur, vindicatif et colérique après la victoire de l’Albiceleste face aux Pays-Bas, avec son désormais fameux « Qué miras, bobo ? (Qu’est-ce que tu regardes, abruti ?, NDLR) », adressé à un adversaire.
Provocation
Ce sens de la provocation était consubstantiel à Maradona, comme ses excès, cette rage, cette soif de revanche sur la terre entière.
Pour Oscar Ruggieri, coéquipier du « Pibe de Oro » lors du Mondial-1986, « Maradona était supérieur en tout »: « Messi joue dans une période où les arbitres le protègent beaucoup. On lui touche le maillot et ils sortent le jaune. Maradona était marqué par des tueurs en série. »
Messi n’aura jamais l’aura quasi mystique qui entoure Maradona, victoire ou pas dimanche. Mais il ne la recherche pas.
Les prises de paroles de l’attaquant du PSG restent rares et sans relief. Son image lisse, moins « bling-bling » que celle de son rival portugais Cristiano Ronaldo, a seulement été ternie par une condamnation pour fraude fiscale en 2017, quelques semaines avant son mariage avec Antonella, son amie d’enfance, mère de ses trois garçons.
C’est uniquement crampons aux pieds que Messi est immense. S’il est sacré dimanche, il pourra sans contestation possible s’asseoir à la table de Maradona.
Celui-ci ne fut pas toujours tendre avec son cadet, mais il dit ceci en 2010: « Maintenant, je sais quel joueur occupera ma place dans le football, et son nom est Lionel Messi. »